Mon coin de rêveries

Mon coin de rêveries

Poésie française


Le dormeur du Val ~~ Arthur Rimbaud

 

C'est un trou de verdure où chante une rivière,

Accrochant follement aux herbes des haillons

D'argent : où le soleil de la montagne fière,

Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

 

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,

Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,

Dort : il est étendu dans l'herbe, sous la nue,

Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

 

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme

Sourirait un enfant malade, il fait un somme:

Nature, berce-le chaudement : il a froid.

 

Les parfums ne font pas frissonner ses narines ;

Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,

Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

 

Arthur Rimbaud ~[1854-1891]

 

 

 

 


09/05/2022
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Un matin ~~ Emile Verhaeren

 

C'était dans la campagne émerveillée, un coin,

Où la prairie au clair brillait comme un visage.

Où deux grands étangs bleus s'arrondissaient au loin,

Comme un double baiser du ciel au paysage.

 

Sur les mousses de vair et les pierrailles d'or,

Les eaux, telles des pleurs d'aube, s'égouttaient, blanches ;

L'éclair d'un vol d'oiseaux frôlait le sol, l'essor

Rythmé, suivant le va-et-vient, au vent, des branches.

 

Des mélèzes frangés tendaient leurs bras ouverts

Comme des pèlerins tournés vers la lumière.

L'ombre dormait sous eux, parmi les gazons verts,

Et s'inclinait vers les miroirs d'argent de la rivière.

 

Les cristaux du matin étincelaient dans l'air ;

Toute la vie ornait le silence des choses,

Toutes les feuilles brillaient de mouvement clair

Et le verbe tremblait sur leurs lèvres décloses.

 

Emile Verhaeren ~ [1855-1916]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


18/04/2022
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Elle était déchaussée, elle était décoiffée ~~ Victor Hugo

 

Elle était déchaussée, elle était décoiffée,
Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants ;
Moi qui passais par là, je crus voir une fée,
Et je lui dis : Veux-tu t'en venir dans les champs ?

Elle me regarda de ce regard suprême
Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,
Et je lui dis : Veux-tu, c'est le mois où l'on aime,
Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds ?

Elle essuya ses pieds à l'herbe de la rive ;
Elle me regarda pour la seconde fois,
Et la belle folâtre alors devint pensive.
Oh ! comme les oiseaux chantaient au fond des bois !

Comme l'eau caressait doucement le rivage !
Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,
La belle fille heureuse, effarée et sauvage,
Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.

 

Victor Hugo ~ [1802-1885]

 


18/04/2022
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